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mercredi 12 juillet 2017

Psycho-pédagogie

Comment accueillir les émotions du jeune enfant

Les tout-petits expriment leurs émotions de façon brute, sans filtre. Les adultes qui les entourent, notamment les professionnels qui les accueillent jouent un rôle essentiel dans la réception et la compréhension de ces émotions : pour développer la confiance de l’enfant en lui-même et en les autres. Les explications de Miriam Rasse, directrice de l’Association Pikler Loczy en France*.
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professionnelle qui console un enfant
Apprendre à observer l’enfant
Emmi Pikler était pédiatre de famille et transmettait ses réflexions aux parents pour les aider à accompagner leur enfant : agir moins et observer plus. Elle a voulu mettre en évidence que le jeune enfant prenait dès l’enfance une part active dans son développement. Ses travaux se sont d’abord portés sur la motricité libre : la capacité de l’enfant à réaliser de lui-même ses acquisitions motrices, un potentiel inscrit dans ses gènes. Ses recherches se sont ensuite étendues à l’activité autonome : sa capacité à initier une activité constructive, « élaborative », à travers laquelle l’enfant construit ses savoirs et développe sa pensée.
L’objectif de l’Association qui porte aujourd’hui son nom est de former les professionnels à l’observation, ou comment être attentif à ce que le tout-petit exprime. En effet avant de savoir parler, l’enfant dispose d’un mode de communication pré-verbal qui passe par le corps, les gestes et les émotions. Le rôle de l’adulte est de chercher à comprendre ces manifestations et de lui donner du temps et de l’espace pour les exprimer.

Comprendre les émotions comme une forme de communication
Les émotions sont d’abord des réflexes de survie, de préservation. La peur, par exemple, est une alerte face à une menace, réelle ou imaginée. La colère, elle, est le résultat d’une frustration face à l’expression d’un besoin non prise en compte. Les émotions jouent donc un rôle très important en termes de communication puisqu’elles disent des choses de nos besoins. Chez le petit enfant, les pleurs ne représentent pas un caprice mais une revendication. Son émotion se manifeste comme une demande de reconnaissance pour protéger son intégrité.
Le bébé exprime ses émotions de façon brute parce qu’il ne sait pas quelle en est l’origine, il s’agit simplement du ressenti d’un état. Il est complètement habité par son émotion : plus que dire qu’il a peur, on pourrait dire qu’il est la peur. Ce n’est que peu à peu qu’il va reconnaître ce qui se passe en lui, grâce aux réponses de l’adulte. « Le bébé seul n’existe pas » disait Winnicott...

Etre un récepteur des émotions du jeune enfant
Le bébé a besoin d’un récepteur, quelqu’un qui va donner un sens à ses émotions. L’adulte lui met à disposition son appareil psychique pour l’aider à les comprendre. L’accompagnement est un travail de pensée pour relier les émotions à leurs causes, par exemple, quand on explique à un enfant pourquoi il a sursauté en voyant ou en touchant quelque chose.
Les émotions sont aussi une façon de maintenir la proximité avec un adulte sur lequel l’enfant sait qu’il peut compter : elles participent ainsi à construire les liens de l’attachement. Le bébé ressent une tension que l’adulte aide à apaiser, en l’aidant à organiser son monde interne. Le tout-petit apprendra alors à communiquer de façon différenciée. D’un ressenti émotionnel, il passe à une expression.

Montrer à l’enfant qu’on l’écoute
Les émotions du jeune enfant nous disent donc toujours quelque chose de lui et c’est à l’adulte de les décoder, en restant attentif, disponible, réceptif – le principe même de l’empathie. Pourquoi est-il aussi dispersé ? Souvent, c’est parce qu’il a un sentiment d’insécurité. Pourquoi tape-t-il ? C’est généralement un moyen de défense, de protection, quand l’enfant se sent attaqué. Cela révèle souvent un sentiment d’impuissance : il ne se sent pas reconnu dans ce qui le définit. Et l’impuissance est le contraire de la compétence qui correspond à la prise en compte d’une situation et l’ajustement de son attitude par rapport à elle. Par exemple, si l’enfant se crispe quand on lui passe un gant sur la peau, rêche ou trop froid, ou bien qu’il détourne la tête quand on lui tend la cuillère pour le faire manger parce qu’il n’a plus faim, en fait il se défend. L’adulte, parce qu’il a des compétences, peut prendre en compte cette réaction et modifier sa manière de faire, ainsi l’enfant se sentira écouté. La prise en compte des émotions par l’adulte participe donc à la construction de l’estime de soi chez l’enfant.

Adopter une réaction adaptée
Les émotions de l’enfant ne sont pas à banaliser. Par exemple, si l’enfant tombe, on évite de dire « ce n’est pas grave, ne pleure pas ». Au contraire, il faut le laisser s’exprimer. Il peut seulement recommencer à penser calmement quand son émotion est partagée.
Il est important de différencier émotions et comportements. Toutes les émotions doivent être acceptées. Si on les réprime, l’enfant se révolte et peut devenir « difficile », inquiet, agité. Il n’a plus confiance en l’adulte et se retrouve seul avec des émotions dont il ne sait que faire. Ce sont les comportements que l’on peut refuser. On ne dit pas qu’un enfant est méchant, mais que son geste n’est pas acceptable. Ainsi plutôt que dire à l’enfant « tu lui fais mal » - ce qui insinue qu’il aurait prêté une intention dans son geste -, on lui dira « ça fait mal ». Sa personne ne doit jamais être mise en cause.
L’adulte peut d’abord reconnaître l’émotion de l’enfant : avant de lui dire pourquoi il ne peut pas prendre le jouet d’un autre, il peut lui dire « tu as envie de ce jouet ». Au lieu de lui dire seulement qu’il sera servi à son tour comme les autres, il peut lui dire « je vois que tu es impatient de manger ». Il se sentira ainsi écouté et pas directement empêché dans son action. L’adulte peut aussi aider l’enfant à trouver d’autres solutions. Il ne peut pas prendre le jouet d’un camarade, mais il peut essayer de trouver un autre jouet semblable ou qui lui plaît. L’adulte a un rôle de médiateur, il fait un travail de différenciation entre l’enfant et les autres.

Se comporter en allié
Cet engagement émotionnel de l’adulte n’est pas simple car les émotions des tout-petits sont intenses voire envahissantes. Elles viennent aussi parfois rencontrer nos propres émotions ou expériences. On peut être agacé parce qu’on reconnait chez l’un des enfants un petit qui nous a embêté dans l’enfance, ou bien parce qu’on se sent coupable, pas à la hauteur. C’est souvent ce qui nous pousse à distraire l’enfant de ses émotions, à les ignorer : on cherche à s’en protéger. Mais l’enfant a besoin de l’adulte sinon il se sent abandonné. Ce n’est pas pour punir un enfant qu’on lui demande se s’assoir au calme dans un coin, mais bien pour qu’il s’apaise. L’adulte n’est pas un juge de l’enfant, mais un allié résolument de son côté.
Peu à peu l’enfant trouve d’autres moyens pour s’exprimer, il se sert de plus en plus des modes symboliques : il utilise le jeu puis la parole, son comportement change. Le rôle de l’adulte ici est de lui laisser de la place et du temps, de l’engager à parler plutôt qu’à agir. On peut même concevoir de le laisser faire des jeux violents (qui ne portent pas atteinte aux autres enfants ni à lui-même bien sûr), comme fabriquer des épées ou malmener la poupée. Lui lire des contes ou des histoires est une autre façon de lui parler de ses émotions et qu’il se sente autorisé à les exprimer.
Les adultes non plus ne doivent pas se sentir seuls. Ils doivent pouvoir compter sur une équipe : partager pour ne pas être démunis, penser ensemble, être accueillis sans jugement… comme le tout-petit.


*A l’occasion de son intervention sur « l’approche Piklérienne dans la prise en charge des émotions de l’enfant », lors des Journées Nationales d’Etudes des Puéricultrices qui se sont tenues du 14 au 16 juin 2017.

vendredi 10 février 2017

Pikler LOCZY

PIKLER LOCZY : accompagner l’enfant vers son autonomie

Motricité libre, référence, importance du soin… Voilà près de quarante ans que les observations de la pédiatre hongroise Emmi Pikler, alors directrice de l’Institut Lóczy, ont changé le regard de professionnels sur la petite enfance. Si de nombreuses structures d’accueil s’inspirent aujourd’hui de l’approche piklerienne dans leur projet pédagogique, pour un accueil plus respectueux de l’enfant, ses travaux restent encore méconnus ou difficiles à accepter.

 
Crèche Popy
En 1946, Emmi Pikler, pédiatre et psychopédagogue déjà renommée pour ses écrits, crée à la demande du gouvernement hongrois, une pouponnière pour accueillir les enfants orphelins et abandonnés. Ce sera l’Institut Lóczy du nom de la rue où il est installé à Budapest. L’équipe va y mettre en place des conditions d’accueil particulièrement innovantes pour l’époque, basées sur le respect de l’enfant, de son rythme de développement et de ses envies. Contemporaine de Maria Montessori qui s’intéresse alors aux enfants de plus de 3 ans, Emmi Pikler sera l’une des rares à observer les nourrissons. Forte de son expérience auprès des familles, elle constate que les tout-petits peuvent développer des compétences innées, sans aucun enseignement ni apprentissage extérieur, sous le regard attentif des parents ou des éducateurs qui les observent, les accompagnent, les soutiennent et veillent à leur apporter un cadre stimulant et sécurisant, sans pour autant intervenir dans leurs apprentissages.

Des principes fondateurs   
Des reportages entrevus sur l’Institution Lóczy, lorsque les Français ont commencé à s’y intéresser, certains ne retiennent que la sieste au grand air quelle que soit la saison, les repas pris sur les genoux des nurses et ces enfants orphelins. Mais l’approche piklerienne nous mène bien au delà de ces clichés, s’appuyant sur quelques grands principes directeurs simples que nous allons détailler : accueillir l’enfant avec la conviction que d’emblée, il est compétent. Qu’une motricité libre et une activité autonome le laissent se construire à son rythme, dans un développement harmonieux, à condition qu’il soit soutenu dans la continuité par une personne de référence, et nourri par la relation de qualité qu’il entretient avec elle, dans chaque moment de soin. Pour les professionnels de la petite enfance, accueillir un enfant à la Pikler,  c’est avoir un projet d’accompagnement pour lui, en tenant compte de son histoire familiale ; garantir la continuité la plus fluide dans les soins et l’attention qu’il va recevoir, sans qu’il ne subisse la main mise du groupe.

Motricité libre et activité autonome
En dehors de ses périodes de sommeil, l’enfant est placé dans une situation qui favorise au maximum « son activité auto-induite spontanée ». Libre de ses mouvements, on le laisse faire comme il l’éprouve, comme il le sent, pour qu’il acquière la maîtrise de son corps. Pour un nouveau-né, c’est allongé sur le dos sur un tapis ferme mais confortable. Une position reposante qui lui permet de se mouvoir à son aise, le corps libéré de ses entraves, de toutes tensions inutiles. Si l’enfant est en difficulté, on n’intervient si nécessaire qu’après lui avoir laissé le temps d’expérimenter seul, en faisant le minimum pour qu’il retrouve la maîtrise de la situation. Ensuite, l’espace dans lequel il évolue va grandir avec lui. C’est par une observation attentive que l’adulte va pouvoir analyser son comportement et faire évoluer l’aménagement de l’espace, afin de mettre à disposition de l’enfant ce dont il a besoin. Ni trop, ni trop peu. On laissera à sa portée, les objets, les jouets ou le matériel varié, choisis avec soin, qui solliciteront son activité et stimuleront son activité motrice de manière indirecte, en tenant compte de ses possibilités et de l’évolution de son intérêt. Son environnement est lisible et ordonné, toujours rangé de la même manière sans pour autant être mis en scène. Le jeu qu’il va ainsi développer est le sien. Il est parfois difficile de comprendre, surtout pour des professionnels de la petite enfance, que leur rôle n’est pas de jouer avec l’enfant mais de le soutenir et d’être témoin du plaisir qu’il nous montre dans son activité. Bien que l’adulte soit toujours très bon joueur vis à vis de l’enfant, il finit toujours par mener et tirer à lui les règles du jeu. Pourtant, lorsqu’il joue, l’enfant connaît la suite à donner. Il suffit de le confier à lui même, de porter sur lui un regard bienveillant.

De l’importance du soin   
Lors de la toilette, du change ou du repas que l’adulte va pouvoir prendre toute la mesure de son rôle. En effet, c’est dans ces temps de soins - qui peuvent sembler au premier abord très matériels et insignifiants - que l’enfant va puiser toute la sécurité affective et la prise de conscience de lui-même qu’il mettra à profit, plus tard, dans son activité spontanée auto-induite. A nous de lui offrir des temps de soin de qualité, toujours dans le souci de préserver ou susciter le plaisir du tout-petit et de favoriser son autonomie. Il va de soi que l’enfant n’est jamais traité comme un objet, mais comme un être qui sent, observe et mémorise. On s’applique à observer une certaine routine, une régularité même dans les détails, sans hâte ni bousculade et sans jamais être interrompue. Et rassurez-vous, ça ne prend pas plus de temps ! Car petit à petit sont gommés tous ces moments ou l’enfant s’oppose et retarde le travail de l’adulte… Si les temps de soin sont souvent mal considérés, il y a une véritable réflexion à pousser sur le bien-être corporel de l’enfant et la continuité, pour harmoniser nos pratiques. Comment les enfants sont-ils amenés au soin ? La façon de prendre et de reposer un bébé en est un bon exemple. On ne l’attrape pas sans crier gare, on l’appelle par son prénom, et si nécessaire on l’incite à se tourner sur le dos pour capter son regard. Ensuite le bras est légèrement soulevé pour glisser une main derrière la tête afin qu’elle soit parfaitement soutenue. Alors seulement il est soulevé. A la douceur s’associe l’envie de le faire participer : en lui expliquant et commentant ce que l’on fait, en lui présentant les objets utilisés et en utilisant sa coopération active aux gestes nécessaires. Les premiers mois, l’adulte profite des gestes spontanés du nouveau-né puis lui demande de lever les jambes, de tendre le bras. Enfin, en grandissant, il deviendra de plus en plus conscient de cette coopération jusqu’à ce qu’elle devienne volontaire.

La référence et la sécurité affective   
Dans chaque échange, c’est une relation de confiance qui s’installe entre l’adulte et l’enfant. Ce sont d’ailleurs ces temps de soin qui vont lui permettre de connaître et différencier la ou les personnes de référence, qui vont chaque jour lui donner son repas, le coucher pour la sieste, le changer, tout en construisant une relation affective réelle avec eux. On a parfois peur de cet attachement, de cette relation affective essentielle qui se tisse. Mais c’est en adoptant une posture professionnelle solide dans les soins que l’on parvient à éviter l’ultra dépendance. L’attachement est un moyen essentiel pour l’enfant de développer la sécurité affective qui lui permettra d’évoluer vers une autonomie propre et réelle. Dans cette régularité, l’enfant prend des points de repères. Il reconnaît des signaux, il sait qu’ils se reproduisent. Il peut ainsi anticiper, se préparer et donc attendre. Il apprend à différer son besoin car il sait que son besoin sera satisfait comme d’habitude. Dans les structures d’accueil collectif, il y a parfois deux à trois personnes de référence qui se relaient auprès de chaque enfant. Dans ce cas, il est important de veiller à ce que toutes travaillent avec des postures professionnelles identiques, la même feuille de route, mais avec leur savoir-faire personnel…

Un rayonnement au delà des frontières
Aujourd’hui, si Emmi Pikler n’est plus de ce monde, sa relève semble assurée. L’institut Lóczy est toujours une pouponnière. Il abrite également un lieu d’accueil parents-enfants et une crèche (depuis 2006) donc la création devrait faire taire les critiques qui reprochaient à l’approche Pikler-Lóczy de ne s’adresser qu’aux orphelins. Nous avons encore beaucoup à apprendre de ce regard confiant porté sur l’enfant. Des idées encore difficiles à accepter par certains pédiatres et professionnels de la petite enfance aux théories plus interventionnistes qui auraient tendance à considérer comme un retard l’évolution plus lente de certains enfants, et inciter les parents à brûler au plus vite les étapes du développement de leur tout-petit. Pourtant depuis plus d’un demi siècle, l’approche pédagogique d’Emmi Pikler a traversé les frontières. Elle est désormais très populaire en Autriche, en Allemagne, en Suisse et à travers le monde. L’Association Pikler-Lóczy France, très dynamique, poursuit la réflexion sur l’enfant et son travail pédagogique auprès des mères et des professionnels de la petite enfance.
 
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